mardi 21 janvier 2014

INGLORIOUS BASTERDS / Quentin TARANTINO / Scène d’ouverture





             Cette scène, située dans une campagne française, nous présente un fermier (M. Lapadit) coupant du bois, interrompu par l’arrivée d’une patrouille allemande. Un officier nazi (l’officier Landa), à la recherche d’une famille juive, se présente. Une fois installé à l’intérieur de la ferme, il questionne habilement le fermier à ce sujet, le poussant à avouer que la famille en question se cache sous son plancher. L’officier les fait exécuter mais une juive parvient à s’échapper.

Je pense que rarement, dans une séquence d’ouverture, nous aurons eu droit à tant d’habileté et d’audace dans le maniement, tant mécanique qu’émotionnel, du suspense. Le réalisateur parvient à jongler avec les éléments et les concepts, obtenant un résultat quasiment inédit. Selon moi, la véritable performance accomplie dans cette scène tient à plusieurs choses. D’abord, Quentin Tarantino utilise des moyens ingénieux, insolites et cohérents avec le sujet et la période à laquelle le film se déroule, pour installer progressivement un suspense redoutablement efficace. De plus, il arrive à rendre les spectateurs complices de certains personnages, renforçant ainsi leur implication. Enfin, en faisant en sorte que l’objet du suspense soit dans un premier temps l’officier nazi, avant qu’il ne se déporte sur la famille juive cachée sous le plancher, Quentin Tarantino réussit à renverser le suspense. Cette manipulation emporte la scène dans une ultime accélération, tout en poursuivant la présentation d’un personnage central de l’histoire : l’officier nazi Landa. Il s’agit d’un élément absolument essentiel, Howard Hawks allait jusqu’à dire : « Si vous savez créer des personnages, vous pouvez oublier l’intrigue. Laissez les personnages se déplacer, laissez les raconter l’histoire pour vous, et ne vous souciez pas de l’intrigue. Les mouvements viennent des caractères créés »[1].

A mon sens, le suspense, c’est l’art de préparer les crises. Les dramaturges ont très fréquemment recours à l’ironie dramatique pour générer du suspens. Ces deux notions ayant tendance à s’emmêler, un petit point terminologique s’impose. Yves Lavandier définit le « suspense » comme une attente angoissée, génératrice d’anxiété, vécue par le spectateur et créée par l’incertitude de la réponse dramatique. Aussi, il précise qu’il y a du suspense dans toute œuvre qui pose une question dramatique ou ironique et qui l’exploite. Cette notion ne doit pas être confondue avec « l’ironie dramatique » qui n’est qu’un moyen parmi d’autres d’obtenir du suspens. Ce procédé consiste à donner au spectateur une information qu’au moins l’un des personnages ignore, et donc à donner au spectateur de l’avance par rapport à au moins l’un des personnages[2]. L’explication la plus éloquente de la mécanique de l’ironie dramatique est couramment attribuée, sans surprise, à Alfred Hitchcock, à travers son célèbre exemple de « la bombe sous la table de restaurant ». Hitchcock avait un sens de l’analyse et une compréhension de la grammaire cinématographique hors du commun. Il a dit une fois que cela lui était venu au contact des jésuites : « les jésuites m’ont appris l’organisation, le contrôle et, dans une certaine mesure, l’analyse. Leur éducation est très stricte, le sens de l’ordre est l’une des habitudes qu’ils m’ont transmise, même si mon sens de l’ordre est spasmodique »[3]. J’en rappelle brièvement le principe : deux personnages sont assis à une table de restaurant, celle-ci est recouverte par une nappe et il y a une bombe en dessous. De cette situation simple, il est possible d’obtenir, au choix, 15 secondes de surprise ou 15 minutes de suspense. Le secret réside dans ce qu’on appelle communément le « dosage d’informations ». Si ni le spectateur, ni les personnages ne savent qu’il y a une bombe sous la table, lorsqu’elle explosera, l’effet obtenu sera 15 secondes de surprise. En revanche, si le spectateur est au courant mais que les personnages, eux, ne le sont pas, il est alors possible d’obtenir 15 minutes d’ironie dramatique génératrice d’un suspense, ce qui est, au passage, beaucoup plus rentable. L’élément clé pour concevoir une ironie dramatique réside donc dans ce fameux dosage d’informations. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, la source importe peu ; que ce soit un monstre ou une bombe, le principe est déclinable à l’infini. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Steven Spielberg a pu réaliser Jaws[4] en ne montrant le requin qu’à la toute fin du film. Au delà des problèmes techniques qui ont empêché le requin de fonctionner pendant le début du tournage, au niveau de la dramaturgie, il était inutile de le voir avant, il fallait simplement savoir qu’il était là et, pour cela, la musique était un indice fiable. Finalement, lorsqu’on rédige une scène, on dispose de peu de choix : le personnage agit ou n’agit pas, en sachant ou en ne sachant pas.

Pour ma part, je ne m’arrêterai pas là. Un autre élément capital permet non pas de créer le suspense via une ironie dramatique, mais d’en optimiser considérablement les effets ; je l’ai nommé « le comportement ambigu ». Une fois le dosage d’informations établi, le spectateur dispose d’une avance sur les personnages qui ignorent que la bombe est sous la table. De cette façon, l’ironie dramatique génératrice de suspense existe. Maintenant, un moyen d’optimiser cette ironie dramatique peut consister à faire en sorte que les personnages aient des comportements ambigus. Aussi, suite à ces comportements, le spectateur doit se dire que l’un des personnages est à deux doigts de découvrir ce qu’il ignore. Pour reprendre l’exemple de la bombe sous la table, un moyen d’optimiser le suspense serait que l’un des personnages, assis à la table de restaurant, se baisse pour refaire son lacet ou pour rattraper sa serviette qui vient de tomber. Ainsi, ce personnage est véritablement sur le point de découvrir la bombe qui ne va pas tarder à exploser. A ce moment précis, l’effet de suspense créé par le dosage d’informations est décuplé et il ne reste plus qu’à en décider l’issue. Mais fermons la parenthèse et reprenons le déroulement de la séquence du film de Quentin Tarantino.




Premier acte ...

Au début de la scène, personne ne sait rien (ni le spectateur, ni les personnages). Cette scène se trouvant être la séquence d’ouverture du film, elle est de fait, particulièrement propice à la mise en place d’une ironie dramatique. Et pourtant, compte tenu du sujet du film, de la période à laquelle l’histoire se déroule (la Seconde Guerre Mondiale) et des personnages présentés, nous avons en réalité déjà beaucoup d’informations. Par un carton, nous avons les repères spatio-temporels : la scène se déroule en France pendant la Seconde Guerre Mondiale. De même, la vue de l’officier nazi provoque nécessairement certaines intuitions sur ce que peuvent être les objectifs de ce personnage. Mais surtout, nous savons que cet officier est l’ennemi. Selon moi, les aspects de la Seconde Guerre Mondiale évoqués dans le film, ont pour eux de « dramaturgiquement » intéressant qu’ils sont extrêmement manichéens, le nazisme étant totalement indéfendable. Il n’en aurait pas été de même de la collaboration, sujet beaucoup plus complexe, nuancé, pour ne pas dire irrésolu.

Une fois les filles du fermier sorties, les deux personnages passent rapidement du français à l’anglais. Cette idée peut paraître étrange. En effet, on peut douter que la France rurale de cette période soit en mesure de s’exprimer en anglais avec une telle aisance. Mais à mon avis, il s’agit déjà de la mise en place d’un dispositif de dosage d’informations très sophistiqué car en abîme et à retardement. Contrairement à la mécanique de base et aux habitudes de la plupart des films où seul le spectateur dispose d’une avance sur les personnages, ici, en passant à l’anglais, les personnages sous le plancher ne comprennent plus la conversation et ne bénéficieront pas des informations qui vont suivre. Donc les personnages attablés disposent, avec le spectateur, d’une avance sur ceux qui se trouvent sous le plancher, le rendant totalement complice. Mais la performance tient aussi au fait qu’à ce stade, le spectateur ignore qu’il y a des juifs sous le plancher et ne sait pas encore qu’ils ne comprennent pas l’anglais. Donc ce dispositif installé dés le début de la scène n’est appelé à jouer un rôle qu’à la fin de celle-ci pour lui donner un second souffle. A la huitième minute de la séquence, l’officier nazi commence à questionner le fermier sur la famille juive (les Dreyfus). Le spectateur, qui s’amuse continuellement a anticiper les événements, commence à comprendre les intentions de l’officier vis à vis de ce fermier, mais il n’en saisit pas encore l’urgence.

A ce propos, je pense qu’il convient de s’arrêter un moment sur l’atmosphère d’ensemble de la scène pour comprendre d’autres innovations qu’apporte celle-ci en terme de suspense. De la même manière que Stanley Kubrick a prouvé, avec son Shining[5], qu’un film d’horreur pouvait se dérouler en plein jour, Tarantino nous prouve ici qu’une scène de suspense peut se passer dans le calme ; et va même jusqu’à démontrer que ce calme est un élément d’optimisation du suspense. Cette scène se passe dans une campagne française, verdoyante, au coeur d’une ferme isolée. Tous les éléments d’un cadre bucolique sont présents. On ressent dans ce décor une véritable douceur de vivre, très éloignée des enjeux internationaux de cette période. Et dans ce décor habilement choisit, le rythme des plans et du montage est particulièrement lent. Le réalisateur nous prouve ainsi que le suspense n’a rien à voir avec le rythme, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Il n’est absolument pas nécessaire d’être dans l’urgence pour ressentir le suspense. Cet élément est crucial pour la crédibilité de la scène tout entière ; il est indispensable pour que le spectateur continue d’y croire. Car finalement, du moins c’est mon opinion, croire, c’est être dans l’attente ; et cette attente est permise par ce rythme lent et ce cadre apaisant en apparence.


Deuxième acte ...

Sur le positionnement des personnages dans l’espace, s’agissant d’un interrogatoire, les habitudes et la logique auraient voulu que les personnages soient l’un en face de l’autre. Or, ils sont l’un à côté de l’autre, le premier étant positionné perpendiculairement au second. A mon avis, Tarantino fait ce choix pour marquer le caractère informel de cet interrogatoire déguisé en visite de courtoisie. Mais surtout, plus techniquement, en positionnant ces personnages ainsi, il limite le nombre de champs-contrechamps ou tout du moins, les dissimule habilement, rendant la mise en scène plus nette, plus soignée et épurée.




A presque neuf minutes, un élément de montage déterminant et redoutablement intelligent vient relancer la scène. Alors que l’officier allemand demande au fermier ce qu’il a pu entendre au sujet des Dreyfus, celui-ci répond que les Dreyfus seraient passés en Espagne. Suite à cela, un changement de plan intervient, montrant en gros plan le fermier qui allume sa pipe. Ce plan, étrangement long, se poursuit alors même que l’officier a repris la parole, restant hors- champ. Il s’agit d’une technique assez courante de montage, très utilisée notamment par Walter Murch[6] (monteur, entre autres, de la plupart des films de Francis Ford Coppola). Lors d’une scène d’interrogatoire, si le plan est coupé juste après la réponse, le spectateur peut prendre ce que la personne a répondu pour argent comptant ; en revanche, si le monteur fait le choix de rester sur la personne, le sentiment alors créé sera celui du doute sur la véracité de la réponse. Utilisé ici, ce procédé participe activement à la création d’un mystère. En effet, Yves Lavandier définit le mystère comme un procédé qui consiste à faire comprendre au spectateur qu’il ignore une ou plusieurs informations. A cet instant précis, le montage laisse subtilement insinuer pour le spectateur, que le fermier a des informations sur les Dreyfus qu’il ne donne pas. Selon moi, Tarantino fait ici une réelle utilisation du montage, car ce-dernier donne un sens aux images que les images ne contiennent pas objectivement et qui procède de leur seuls rapports, ce qui est, en quelque sorte, la meilleur utilisation que l’on puisse faire du montage.




Pour autant, le spectateur ne reste pas dans le doute longtemps car à la dixième minute, par un travelling haut-bas, la caméra descend et vient nous montrer la famille Juive qui se cache sous le plancher. Cette fois, enfin, l’information est clairement donnée. Cette famille juive sous le plancher va jouer le même rôle que la bombe sous la table de restaurant de Hitchcock. A ce moment précis, le spectateur et le fermier savent que les juifs sont sous le plancher mais pas l’officier allemand (du moins a priori), c’est donc lui qui est l’objet de l’ironie dramatique.




Dès cet instant, commence une conversation anecdotique et pleine de métaphores, relativement classique du cinéma de Quentin Tarantino. Pourtant, selon moi, ce qu’est en train de faire le réalisateur, à sa façon, c’est donner à son personnage de l’officier nazi un « comportement ambigu ». Plus ce personnage raconte des choses anecdotiques, plus le doute pèse sur ses intentions ; à tel point qu’on se demande combien de temps cela va encore durer, et surtout, où il veut en venir. Et cet effet est optimisé par la personnalité extrêmement sympathique de l’officier Landa. Là encore, il s’agit d’une technique dramaturgique relativement connue qui offre une réponse à la question suivante : comment rendre intéressant un personnage de méchant, tout en étant contraint de rester dans un dispositif manichéen ? Réponse : en le rendant sympathique. En effet, le rendre agréable atténue considérablement le manichéisme et nuance le personnage, le rendant intéressant. Cela marche d’autant mieux ici que l’on ressent continuellement une étincelle d’humour dans le regard de l’acteur qui interprète l’officier nazi, ce qui rend l’ensemble particulièrement savoureux. Cette technique, utilisée pour le personnage de Richard III[7] dans la pièce de Shakespeare ou de Alex dans Orange Mécanique[8], veut que, paradoxalement, plus le personnage est sympathique plus il est inquiétant. Steven Spielberg appelle cela des « méchants Champagne »[9]. Beaucoup de scénaristes inventent malencontreusement des personnages qui, certes, peuvent exister, sont plausibles, mais ne sont pas intéressants. Que le personnage puisse exister ne suffit pas ; il faut en plus qu’il soit intéressant. Kubrick disait lui même « ce qui est vrai est bien, mais ce qui est intéressant est mieux »[10]. Pour revenir à la scène en elle-même, ces dialogues peuvent durer aussi longtemps que le réalisateur le souhaite, car l’ironie dramatique étant parfaitement en place, tout ce que pourra dire l’officier Landa va constamment susciter l’intérêt grâce aux sous-entendus. Là encore, Quentin Tarantino intègre habilement et de façon singulière le « comportement ambigu » à son cinéma.

En outre, le réalisateur fait une utilisation tout à fait appropriée des dialogues au cinéma. Ces derniers servent en grande partie à mentir et à venir en contrepoint de l’image. Cela permet de montrer à chaque instant une situation ostensible et une situation secrète, au sein d’une même séquence[11]. Eric Rohmer avait brillamment résumé cela en une phrase : « au cinéma, les dialogues servent à mentir et ce ne sont que les images qui disent la vérité, alors qu’au théâtre les répliques sont là pour dire la vérité sinon il n’y a pas d’autres moyens pour le faire »[12]. Dans le cinéma de Quentin Tarantino, les dialogues, souvent loufoques et anecdotiques en apparence, permettent essentiellement de faire passer des métaphores plus que des informations. Cette capacité à créer des métaphores est essentielle car elle permet de multiplier les degrés de lecture de la scène. Créer de bonnes métaphores, c’est savoir observer les ressemblances, ce qui est capital pour rendre une scène intéressante.

Vers la quinzième minute, à l’instant même où l’officier nazi sort de ses digressions pour parler à nouveau de ce qui peut préoccuper directement le fermier, il demande s’il peut fumer, avant de sortir une pipe pour le moins surprenante de sa poche. Pendant que l’officier commence à évoquer les raisons qui l’ont fait venir dans cette ferme, il est en même temps occupé à allumer sa pipe, ce qui a pour conséquence qu’il ne parle que par intermittences, jouant avec la patience du spectateur. Au passage, ce procédé est remarquablement utilisé au début du film Le placard[13], écrit et réalisé par Francis Veber. Alors que Michel Aumont tente d’expliquer, au comptoir d’un café, la solution trouvée pour que Daniel Auteuil ne soit pas licencié de son entreprise, un serveur l'interrompt systématiquement en apportant le café, puis la cuillère, puis le sucre, puis l’addition... Simple, mais redoutable.




Suite à cela, l’officier allemand explique les enjeux attachés à l’aveu que le fermier s’apprête à faire. Il faut d’ailleurs noter que l’officier exprime uniquement ce qui est susceptible d’arriver si le fermier parle, à savoir l’absence de sanctions et même l’obtention d’une récompense, sans évoquer ce qui pourrait arriver s’il ne parlait pas, comme si ce n’était pas nécessaire. C’est à croire que dans l’esprit de l’officier Landa, il est inconcevable qu’il ne parle pas. La pression psychologique exercée sur le fermier est fortement accentuée par les travellings avant qu’opère le réalisateur sur chacun de ses personnages ; ce qui provoque chez le spectateur un effet d’hypnose de l’officier sur le fermier. A mon sens, dans le jeu des acteurs, il est primordial que, sur ce type de plan, les acteurs ne fassent absolument rien, comme Jean Gabin ; qu’ils n’aient pas la moindre réaction. Cela permet, entre autres, d’accentuer l'hypnose exercée ainsi que la réflexion menée par les personnages. Comme l’a si bien dit Alexander Mackendrick : « la caméra a le pouvoir singulier de filmer la pensée ! »[14].


Troisième acte ...

Autour de la seizième minute, et suite à trois questions claires et précises de l’officier nazi, le fermier craque et indique l’emplacement de la famille juive. Je trouve le personnage du fermier (la figure mythique du brave homme) très intéressant, car tellement attachant, qu’on ne lui en veut presque pas de craquer, ce qui est tout de même un tour de force. Je pense que cela est en grande partie le résultat d’un choix, celui d’avoir imaginé un personnage au bout du rouleau. Stanley Elkin avait dit une fois : « je n’écrirai jamais sur un personnage qui n’est pas au bout du rouleau ». Pour autant, du point de vue de la structure, le moment est capital car il marque le renversement de l’ironie dramatique préparée dès le début de la scène, en vue de lui offrir une ultime accélération. L’information de l’emplacement exact de la famille juive donnée à l’officier nazi opère un transfert de l’objet du suspense de l’officier sur la famille juive. A partir de cet instant, un nouveau dosage d’informations est en place : le spectateur, le fermier et l’officier savent que les juifs sont sous le plancher, mais la famille juive ne sait pas qu’elle est découverte. Ainsi, la question n’est plus de savoir si l’officier va découvrir la famille juive, car la réponse est à présent clairement affirmative, mais de savoir si la famille juive va s’en rendre compte et avoir le temps d’une réaction pour s’en sortir.

Au passage, la construction classique de la séquence, en trois actes, est absolument remarquable (raison pour laquelle je l’ai retranscrite afin de structurer ce commentaire). D’abord, les passages d’une langue à une autre accentuent les pivots dramatiques qui nous font basculer d’un acte à un autre[15]. On peut éventuellement leur reprocher de rendre la structure trop visible. Ensuite, la progression dramatique aboutit à un final (un climax) particulièrement intense et spectaculaire. Pour marquer cette ultime accélération, une musique faite de dissonances instrumentales proche de György Ligeti (musique utilisée dans la scène d’ouverture de 2001 A Space Odyssey[16]) intervient, créant un puissant malaise. Une telle utilisation de la musique est intéressante car celle-ci ne fait pas doublon avec ce qui est déjà exprimé dans l’image. La musique cristallise des émotions créées antérieurement et n’intervient pas, comme c’est trop souvent le cas, comme une béquille à l’émotion. De même, l’acteur qui interprète l’officier nazi a alors tendance, dès cet instant, à légèrement sur-jouer, en opposition avec le jeu minimaliste qu’il avait adopté jusqu’à présent. Tous ces éléments entraînent le spectateur dans un terrible final fait d’éclats de bois et de poussières. Et le massacre ayant lieu sous le plancher, celui-ci se trouve hors champ, ce qui le rend, paradoxalement, encore plus violent. L’imagination du spectateur dépasse de loin toutes les images que l’on pourrait montrer.

Pour conclure, je dirais que lorsque la plupart des cinéphiles évoquent le cas Tarantino, ils ne parlent pratiquement que de ses références. Je suis convaincu que cette approche n’est que la partie émergée de l’iceberg Tarantino, sans être un fan pour autant. Néanmoins, ce qui saute aux yeux et explique en partie son succès, c’est que, quoi qu’on en dise, ses films sont « cool ». Voir un Tarantino, c’est cool. Mais j’espère avoir démontré que cette vision de son cinéma est fortement réductrice face à la maîtrise du réalisateur et je pense mettre tout le monde d’accord en affirmant que lorsqu’un homme réalise une telle séquence, il fait du grand, du beau cinéma.


Merci d’avoir lu.


BIBLIOGRAPHIE


Joseph McBride, Hawks par Hawks, p. 120, Paris Ramsay, coll. « Poche Cinéma », 1990 (traduit de l’anglais par Georges Golfayn).

Yves Lavandier, La dramaturgie, p. 557, Le clown et l’enfant, 2004.

Peter Bogdanovich, Who the Devil Made It, op. cit., p.486.

Michael Ondaatje, Conversations avec Walter Murch,  Edition Broché 2009.

William Shakespeare, Richard III, 1592.

Michel Ciment, Stanley Kubrick, Calmann-Lévy, 2004 (Edition définitive).

François Truffaut, Hitchcock - Truffaut, Gallimard, 1993.

Eric Rohmer, conférence à la Cinémathèque Française, La parole au cinéma, 2007.

Alexander Mackendrick, La fabrique du cinéma, Editions de l’Arche, 2010.

Linda Seger, Faire d’un bon scénario un scénario formidable, Dixit Editions, 2005.



INDEX DES TITRES DE FILMS

Steven Spielberg, Jaws, Universal Pictures, 1975.

Stanley Kubrick, Shining, Hawk Films Peregrine, 1980.

Stanley Kubrick, Clockwork Orange, Hawk Films Polaris Productions, 1971.

Steven Spielberg, Making-of The Adventures of Tintin, Amblin Entertainment, 2012.

Francis Veber, Le placard, Miramax Films, 2001.

Stanley Kubrick, 2001 A Space Odyssey, Hawk Films Polaris Productions, 1968.



INDEX DES TITRES DE PIECES

William Shakespeare, Richard III, 1592.




[1] Joseph McBride, Hawks par Hawks, p. 120, Paris Ramsay, coll. « Poche Cinéma », 1990 (traduit de l’anglais par Georges Golfayn).
[2] Yves Lavandier, La dramaturgie, p. 557, Le clown et l’enfant, 2004.
[3] Peter Bogdanovich, Who the Devil Made It, op. cit., p.486.
[4] Steven Spielberg, Jaws, Universal Pictures, 1975.
[5] Stanley Kubrick, Shining, Hawk Films Peregrine, 1980.
[6] Michael Ondaatje, Conversations avec Walter Murch,  Edition Broché 2009.
[7] William Shakespeare, Richard III, 1592.
[8] Stanley Kubrick, Clockwork Orange, Hawk Films Polaris Productions, 1971.
[9] Steven Spielberg, Making-of The Adventures of Tintin, Amblin Entertainment, 2012.
[10] Michel Ciment, Stanley Kubrick, Calmann-Lévy, 2004 (Edition définitive).
[11] François Truffaut, Hitchcock - Truffaut, Gallimard, 1993.
[12] Eric Rohmer, conférence à la Cinémathèque Française, La parole au cinéma, 2007.
[13] Francis Veber, Le placard, Miramax Films, 2001.
[14] Alexander Mackendrick, La fabrique du cinéma, Editions de l’Arche, 2010.
[15] Linda Seger, Faire d’un bon scénario un scénario formidable, Dixit Editions, 2005.
[16] Stanley Kubrick, 2001 A Space Odyssey, Hawk Films Polaris Productions, 1968.