mercredi 20 octobre 2021

LA TENSION NARRATIVE – Par Raphaël BARONI


 

Poussé par le désir de comprendre ce qui pouvait motiver des gens à écrire, écouter, lire ou regarder des histoires, le professeur Raphaël Baroni travailla sur les fonctions thymiques (émotionnelles) du récit. 

 

Il mit ainsi en évidence le rôle déterminant de la tension narrative et de « la mise en intrigue », à savoir la manière dont certains mécanismes, en particulier la curiosité et le suspense, permettent d’éveiller et surtout de maintenir vivace l’intérêt du public. 

 

Selon lui, la tension narrative « est le produit d’une réticence (discontinuité, retard, délai, dévoiement, etc.) qui induit chez l’interprète une attente impatiente portant sur les informations qui tardent à être livrées ; cette impatience débouche sur une participation cognitive accrue, sous forme d’interrogations marquées et d’anticipations incertaines ; la réponse anticipée est infirmée ou confirmée lorsque survient enfin la réponse. »[1] Il détaille ensuite les phénomènes de « curiosité » et de « suspense ».

 

La curiosité est attisée par la représentation d’une action incomplète, ou d’une exposition retardée. Certaines informations doivent manquer et il faut mettre en place un « retardement stratégique de la réponse qui oriente l’interprétation vers un dénouement à venir »[2]. La curiosité serait ainsi « tributaire d’un effacement seulement partiel dans le discours d’un événement crucial apparaissant précocement dans la structure des évènements (…), elle est donc fondée sur une incertitude concernant « ce qui s’est passé » et le texte doit à la fois dissimuler des éléments cruciaux et laisser transpirer certains indices. »[3]

 

Le suspense, quant à lui, surgit « d’une situation narrative incertaine dont l’interprète désire impatiemment connaître l’issue »[4]

 

La curiosité interroge donc le passé (que s’est-il passé avant ?), alors que le suspense questionne l’avenir (que va-t-il se passer maintenant ?). 

 

Ces notions de curiosité et de suspense deviennent particulièrement intéressantes lorsqu’on réalise que l’une est amenée à prendre le relai de l’autre. En effet, au début de toute histoire, le spectateur dispose de peu d’informations. Il lui manque surtout une donnée indispensable à la compréhension d’une situation : l’objectif du personnage (ce que Raphaël Baroni nomme « l’intention »). Ce dernier constate en effet que « comprendre une action revient en général à saisir sa dimension intentionnelle. »[5]

 

L’attention du spectateur est d’abord retenue par un sentiment de curiosité qu’il faut savoir générer. Puis, peu à peu, la narration va compléter le puzzle, offrant au spectateur une vision de plus en plus claire de la situation et du passé des personnages. Cela va avoir pour conséquence directe de diminuer progressivement la curiosité des spectateurs à l’égard du récit jusqu’à ce que cette dernière disparaisse totalement vers la fin du deuxième acte. 

 

Parallèlement, dès l’instant où le spectateur aura connaissance de l’objectif du protagoniste, un « suspense » va peser sur le point de savoir s’il parviendra ou non à l’atteindre. L’issue de l’histoire devenant de plus en plus incertaine, le suspense augmentera peu à peu jusqu’à un paroxysme (la « Crise » ou son équivalent dramatique, le « Climax »). Ainsi, selon Raphaël Baroni, le « suspense » est appelé à prendre le relai de la « curiosité ».




[1] Raphaël Baroni, La Tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, Seuil, 2007, p.99.

[2] Ibid., p.108.

[3] Ibidem.

[4] Ibid., p.99.

[5] Ibid., p.262.